Le cant
Par Michel Kuttler le vendredi, février 5 2010, 20:31 - Lien permanent
Je me suis bien sûr demandé pourquoi tous les éditeurs avaient refusé mes romans. Mes œuvres ne méritaient pas une telle unanimité, n'étant pas tellement meilleures que les publications habituelles des maisons sollicitées.
Une expérience récente m'apporte de nouvelles lumières sur ce fiasco commercial.
J'enseigne depuis peu à des bac +3 ou +4. Des jeunes instruits ou en passe de l'être, la cible rêvée de ma littérature. Pourtant – surprise ! - il ne comprennent pas ce que je leur raconte. Pas les phrases ou les concepts (on m'avait prévenu, je m'adapte) mais les mots. J'emploie des mots qui n'ont plus cours dans les aréopages du nouveau siècle ! A un contre trente, on ne peut en ces matières avoir raison. Il ne me reste plus qu'à attendre, stoïque, l'ethnologue au magnétophone qui viendra noter mon cant moribond.
Je vous entends ricaner d'ici... « les livres, le théâtre, la chanson... », « mais pour qui se prend-il ? »
A cela, deux réponses. Essayez donc d'utiliser « achalandé » à bon escient ! Enfin, et surtout, vous n'avez pas lu Ils étaient là. Quand plus personne ne prie, la maison de Dieu s'étiole. Certains messages sont comme un courant électrique, l'étincelle qui met le feu à la plaine. Mais certaines demeures demandent des soins permanents pour ne pas disparaître comme ces forêts qu'un parasite minuscule dévaste et quelques années ou ces espèces merveilleuses qui disparaissent à peine découvertes par la science.
Commentaires
C'est le Dieu de Newton qui doit perpétuellement rajuster chaque détail du monde. Celui de Leibniz n'est plus pris dans le temps. Où l'on n'attend aucune soutane.
Cher M. Kuttler,
Il ne faut pas désespérer. J’ai trouvé votre ébauche de roman très intéressante. Les thèmes développés sont d’actualité et présentés de façon originale. La cadence rapide du style « polar » et un ton emprunté au roman contemporain français – qui n’est pas sans rappeler les litotes djianesques – en rendent la lecture palpitante. Il y a cependant quelques endroits où le récit gagnerait à plus de précisions. Par exemple, on se demande, dans le chapitre 7, comment le yacht de Juan a été détruit.
Je trouve aussi que la fin tombe un peu à plat. Il est fort à parier que Vidalux finira par adopter la philosophie de Biosoft, si ce n’est sa façon d’opérer – enfin, ça c’est mon côté pessimiste (réaliste) – et je ne sais que faire de la mort de la proche famille du personnage principal.
Pour ce qui est de la forme, le texte a besoin d’une bonne relecture, en particulier pour les aspects suivants :
- Coquilles, ex : « sont CEO » au lieu de « son CEO » (chp 4) ; « le mort » au lieu de « la mort » (chp 9)
- Fautes d’orthographe, ex : les noms « ponceau » et « safran » sont invariables lorsqu’ils sont utilisés comme adjectifs de couleur (chp 4) ; « rogations » est du féminin (chp 7)
- Cohérence des temps de conjugaison, ex : la narration est au passé, mais parfois, au milieu d’un paragraphe, le passé simple fait place au présent de l’indicatif (à propos, « sympathisâtes » n’est pas un imparfait du subjonctif (chp 3))
- Orthographe/transcription des noms propres étrangers, ex : le prénom anglo-saxon « Lawrence » s’écrit avec un « w » et non comme le prénom féminin français ; il est préférable d’écrire « Man'yōshū » (chp 4) sans les accents circonflexes (ça fait Pierre Loti et désuet) ; le « Golden Opossum » devrait s’écrire « Golden Possum » (les Australiens l’écrivent sans « o » - et pourquoi ne pas citer des noms de lieu réels, comme ceux à Paris ?) ;
- Histoire/géographie, ex : le massacre des aborigènes à commencé en 1788, ce ne fait pas tout à fait 3 siècles (chp 6) ; le quartier louche de Sydney (Kings Cross) est loin de contenir 200 bars au km carré (chp 5) (ce n’est pas Las Vegas)
J’espère que vous ne m’en voudrez pas de toutes ces critiques et suggestions, la lecture de votre roman m’a procuré beaucoup de plaisir.
Gustave
Merci pour cette lecture attentive !
Le référence à Loti me semble très flatteuse et j'aimerais pouvoir m'en réclamer. Mais Ils étaient là se fonde sur la règle (cachée jusque là) de ne se dérouler que dans des pays où je ne suis pas allé (enfin presque). Cela donne donc un savoir froid, comparable à celui de Daniel. Un savoir dépourvu de connaissance. La fin, dont ne ne savez que faire - et c'est un échec pour moi - tente de répondre à cet état. Comment du sens peut-il arriver dans toutes nos données ? N'ayant pu l'expliquer en 200 pages, je désespère de pouvoir le faire dans ce billet, mais la mort et l'amour font partie de la réponse.
Pour le yacht de Juan, la réponse est plus facile : "Même dans une ville aussi sage que Sydney, ça n'a pas été très difficile de se procurer quelques pochettes surprises pour ceux qui vous faisaient des misères".
Cher Michel,
Je vois que ma lecture ne s’est pas révélée être aussi attentive. En effet, le sort du yacht de Juan est expliqué quelques paragraphes après l’évènement. Au temps pour moi !
Ah, l’amour ! Vous avez sûrement des enfants. Nombreux sont mes connaissances qui viennent d’avoir un enfant qui me confient, « tu sais, lorsqu’on a un enfant, son regard sur le monde change du tout au tout ». Comme si le fait de s’être doter d’une progéniture vous mettait dans un groupe restreint d’élus, d’initiés, quand en fait ce sont ceux qui n’ont pas d’enfant qui sont la minorité. Je fais partie de ces derniers et mon monde est à la fois plus petit (pas grand monde dans la maisonnée) et plus grand (je vois au-delà des membres de ma tribu). La futilité de notre existence n’en est que plus apparente. Je ne vois pas en quoi « se perpétuer » donne un sens, ou plus de sens, à la vie.
Quand à l’amour dit romantique, je ne parviens pas à y croire. J’ai toujours été inaccessible à toute forme de religion, et ceci explique peut-être cela. Cela ne veut pas dire que je ne tombe jamais dans le piège d’Aphrodite Il y a tout juste trois ans, j’ai écris mes premières mots d’amour, moi qui n’en avais jamais écrit étant adolescent ou jeune adulte (je ne suis plus tout jeune). J’étais conscient de ce qui m’arrivait mais ne me sentais nullement ridicule, ou ne voulais pas considérer cet aspect des choses. Je voulais tout simplement savourer ces épanchements, à grand renfort de citations et allusions littéraire (forme d’onanisme de l’esprit), comme on s’immerge dans des congrès sexuels interdits ou secrets. Je n’ai pas la prétention de me poser en représentant typique du genre humain, mais je défis quiconque de démontrer qu’il n’y a aucune racine sexuelle dans ce que l’on nomme l’amour. Il n’est pas de sentiment amoureux, si fort soit-il, qui n’est à son origine un élément matériel, physique, sexuel. La mort et l’acte sexuel (ou l’envie de l’acte sexuel) sont les seuls phénomènes tangibles. L’amour est un pur produit de l’imagination destiné à tromper celle-là et justifier celui-ci (« On est pas des bêtes ! »).
C’est peut-être pour cela que je n’ai pas « su quoi faire de votre fin ». En effet, de nombreux éléments de votre récit trouvaient un écho en moi et, comme c’est souvent le cas lorsque je lis un roman qui me passionne, je m’identifie à l’auteur au point de penser qu’il est… « exactement comme moi ».
Tout ceci pour vous dire que mon manque de discernement n’altère en rien la validité de vos conclusions. Et cessez de vous blâmer (mais êtes-vous bien sincère ?)
Gustave